Ces deux derniers jours, j’ai croisé, doublé ou retrouvé à l’arrivée de l’étape deux hollandais qui randonnaient le sac au dos. J’ai appris qu’ils se connaissaient depuis quarante ans, depuis l’époque du lycée et venaient chaque année randonner en Bourgogne, région dont ils étaient tombés amoureux.


Ils m’ont rappelé un conte que j’avais entendu à la radio quand, collégien, ma mère venait me chercher en voiture après la fin des cours. Elle écoutait France Inter et l’autoradio diffusait à cette heure là la voix chaude de Gérard Sire, qui disait un de ses contes. Le conte s’intitule « Machli et Schloupe ». Je le retranscris tel que ma mémoire et mon imagination me le livrent.


Machli et Shloupe sont deux vagabonds, qui sillonnent la France par les chemins le sac au dos. L’un était plutôt taciturne, l’autre parlait en proverbes qu’il inventait en marchant au fil de l’eau. Machli et Schloupe le nez au vent, Schloupe et Machli, le sac au dos.

A la fin d’une étape, Machli reconnut un vieux chêne auprès duquel tous deux s’étaient reposés des années auparavant. 

« Tu reconnais ce chêne? » dit Machli. 

« Bien sûr » répondit Schloupe, « je te parie qu’il y a un cœur gravé sur son tronc! »

Effectivement, en grattant un peu la mousse qui avait recouvert l’écorce du vieil arbre, Schloupe découvrit un cœur gravé avec les lettres M.S. en dessous.

« Nous l’avions gravé en l’honneur d’une douce servante aux regard clair, dont nous étions tombés amoureux tous les deux, il y a au moins vingt ans. Nous avions failli nous battre dans son auberge ce jour là » se remémora Machli.

« Allons, en route, il est temps de rentrer» lança Schloupe.

Les deux vagabonds se remirent en chemin, Machli et Schloupe le nez au vent, Schloupe et Machli, le sac au dos. 

Au sortir du bois, ils tombèrent sur une auberge.

« Tu crois qu’elle est encore là? » demanda Machli?

« Allons voir », répondit Schloupe.

Les deux compères poussèrent la porte de l’auberge et s’installèrent à une table près du poêle.

Une vielle dame au regard clair s’approcha d’eux et leur demanda, d’une voix emplie de douceur: « Bonsoir Messieurs, qu’est ce qui vous ferait plaisir? »

« Un pichet du vin de la maison, aux arômes de petits fruits mûrs, comme autrefois! » répondirent en chœur Machli et Schloupe .

Leurs breuvage terminé, les deux vagabonds prirent congé de la servante au regard clair, quittèrent l’auberge et franchirent les quelques centaines de mètres de chemin de terre grasse qui les séparaient de la route nationale, où les attendait une somptueuse limousine noire. Une chauffeur en livrée en sortit et les accueillit: « Ces messieurs ont passé de bonnes vacances? ».

« Excellentes» répondirent les deux amis. Ils quittèrent leurs habits, revêtirent les costumes de Président directeur général et de président directeur général adjoint que leur tendait leur chauffeur, puis s’engouffrèrent dans leur limousine pour rejoindre le siège du consortium sidérurgique « Machli et Schloupe international inc. »

Machli et Schloupe le nez au vent, Schloupe et Machli, le sac au dos